Crédit: Stella Attiogbe

«Les impatientes», de Djaïli Amadou Amal, trois histoires qui révoltent

Les impatientes de Djaïli Amadou Amal

Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Lire Les impatientes, le roman de Djaïli Amadou Amal, m’a vraiment touchée, j’étais énervée, j’avais envie d’étrangler des personnages et d’en sauver d’autres ! Mais le plus révoltant, c’est que les personnages dépeints par l’autrice existent vraiment. Ces jeunes filles mariées et violées chaque jour existent, ces femmes battues existent, ces femmes résignées existent.

En lisant Les impatientes, je ne m’attendais certes pas à lire un conte de fées. Mais je n’étais pas préparée à lire des histoires aussi poignantes et bouleversantes. Je pensais avoir tout entendu sur le mariage forcé des jeunes filles, sur ce sujet je pensais sincèrement que plus rien ne pouvait me surprendre. J’avais tort.

Munyal ! Patience ! Voilà ce que l’on dit aux femmes du Sahel, malgré toute l’horreur subie. J’en ai eu marre de lire ce mot encore et encore. Comme si c’était la clé qu’il fallait brandir pour que les femmes se tiennent tranquilles et acceptent tout. Comme si c’était un mot magique pour maintenir les femmes à l’état de subordonnées.

Entre mariage forcé, violence, abus et mysticisme, découvrons la triste réalité des femmes du Sahel. Les femmes du Sahel, mais aussi les autres femmes qui sont obligées de subir, dans toutes les régions du monde.

Mariage forcé et méthodes de persuasion

L’autrice, Amadou Amal, a 45 ans. Elle est née au Cameroun. Mariée de force à l’âge de 17 ans, son mari la répudie. Elle connait ensuite un second mariage. Cette fois-ci, pour se protéger de la violence, elle s’enfuit avec ses enfants. Le vécu de l’autrice est celui de nombreuses autres femmes africaines. Le mariage forcé concerne 38% des jeunes filles au Cameroun. Dans une région où tout le monde a l’impression d’être de la même famille, les jeunes filles sont données en mariage par le voisin sans que le père ne s’y oppose. L’enfant appartient à tout le monde. Ce sont les femmes qui souffrent le plus de cette façon de vivre.

Jusqu’ici, j’étais de celles et ceux qui pensaient que le mariage forcé consistait « uniquement » à prendre la fille de force, à l’attacher et à la conduire chez cet époux qu’elle n’a pas choisi. Mais dans le livre, on découvre que les jeunes filles sont aussi contraintes d’une autre façon. Un autre moyen de persuasion plus subtil vient s’ajouter pour les faire plier.

Il s’agit ici du chantage émotionnel, de la pression familiale, de la pression des parents : « Pense à notre honneur, ne mets pas la honte sur la famille », voilà ce à quoi les filles doivent faire face. Les phrases de ce genre sont dites afin de faire plier la volonté de la jeune fille, pour la pousser à se soumettre. Les mères participent au chantage affectif : « Qu’est ce que je vais devenir, je serais la risée de mes rivales ». On accule donc la jeune fille, qui ne veut pas que sa famille perde la face. Elle est dans une impasse, on ne lui laisse pas le choix. Elle accepte donc…

Cette pression psychologique exercée sur les jeunes filles est un véritable piège. En agissant de cette façon, tout le poids de la responsabilité revient à la jeune fille, rien n’incrimine les parents. La culpabilité d’un refus repose ainsi entièrement sur les épaules des jeunes filles.

Ramla, Hindou et Safira, les impatientes

Vector illustration of beautiful Indian young woman.

Les impatientes, c’est un roman qui nous raconte trois histoires, trois portraits, sur fond de désillusion, de violence et de résignation.

Ramla est mon personnage préféré, elle a 17 ans. Alors qu’elle fait tout pour poursuivre ses études et atteindre ses rêves, elle est donnée en mariage. Un homme bien plus âgé a décidé qu’il voulait d’elle. Elle n’a pas son mot à dire.

Hindou est moins âgée que Ramla. Elle a aussi beaucoup moins de chance qu’elle. On la marie à son cousin Moubarak, un homme dépendant de l’alcool et de la drogue. Elle devient son souffre-douleur, il la bat fréquemment et la viole.

Safira est une femme. Elle a 35 ans. Lorsqu’elle voit Ramla rejoindre son foyer en tant que seconde épouse, elle décide de ne pas se résigner. En apparence, elle semble être soumise, mais elle est prête à aller très loin pour garder son homme.

Trois femmes aux histoires semblables

Autrice du livre Les impatientes
Djaïli Amadou Amal, autrice du livre Les impatientes

Trois femmes. Elle se ressemblent. Tout semble être déjà écrit pour elles. Elles ne décident pas de l’orientation de leur vie. On réalise qu’elles n’ont pas le droit de rêver… Ramla soupire en disant « Sauvez-moi, je vous en supplie, on me vole mon bonheur et ma jeunesse. Sauvez-moi, je vous en supplie, on m’arrache mes rêves, mes espoirs. »

Elles se cloîtrent ainsi dans une routine qui les brisent un peu plus chaque jour. Les mêmes corvées, les mêmes journées encore et encore : nettoyer la maison, préparer les repas, s’occuper des enfants etc..

Mais triste est de constater que les femmes elles-mêmes ne réalisent pas l’état d’oppression dans lequel elles sont, et à quel point elles reproduisent cette oppression, pour l’exercer à leur tour sur leurs filles. Inconsciemment, elle participent à perpétuer les mariages forcés et les violences conjugales. Les mères font vivre à leurs filles ce qu’elles ont vécu. Les belles mères se vengent sur les brus et les regardent souffrir sans réagir. Quant aux coépouses, elles sont de véritables rivales et n’hésitent pas à se lancer des sorts. Et l’autrice de souligner : « Tant que les femmes ne vont pas se serrer les coudes et se feront la guerre les unes les autres, rien ne changera.» Il faudrait que les femmes prennent conscience de cette réalité.

Ce que je pense du roman Les impatientes

Les impatientes de Djaïli Amadou Amal

Ecrit à la première personne, ce récit est totalement immersif. A chaque lecture de portrait, on a l’impression d’écouter son amie nous parler de ses souffrances. J’aurais voulu en savoir plus sur chacune d’elles, sur Ramla, Hindou et Safira. Les histoires sont si bien écrites, qu’on a envie d’en lire davantage.

J’ai ressenti de la tristesse, de la douleur et beaucoup de rage. On est transporté dans cet univers, on imagine les chambres où l’on ressent fortement la peur de ces jeunes filles qui sont battues et parfois violées. À chaque fois que je reposais mon livre, c’était pour y penser à nouveau, j’étais consternée et triste. L’écriture de Djaïli Amadou Amal m’a beaucoup touchée.

Chacune des histoires se termine sur une incertitude. On ne sait pas ce qui arrive finalement à nos héroïnes, on ne peut que l’imaginer. Le doute est semé. On est dans l’incertitude de leur avenir et de ce qu’elles feront. Leur lot, c’est d’être des impatientes. Impatientes parmi les impatientes. Peut-être ces femmes parviendront-elles à briser leurs chaines et à briser ainsi la chaine de la violence qui se perpétue à chaque nouvelle génération…

Nombre de pages : 240

Note : 8.5

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Auteur·e

stellabazar

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